mercredi 18 février 2015

Le hasard fait bien les choses

Texte publié sur la liste de diffusion du Club des Cent Cols le 12/05/2004



Le hasard fait bien les choses... dit prosaïquement le proverbe.
«Ce que nous appelons hasard, c’est peut-être la logique de Dieu» énonce plus mystiquement Georges Bernanos. Et Théophile Gauthier dans le même style : «Le hasard, c’est peut-être le pseudonyme de Dieu quand il ne veut pas signer».

Il y a quelques semaines, à la suite des attentats de Madrid (mars 2004), Daniel Mermet a diffusé dans son émission «modeste et géniale» «Là-bas si j’y suis» un reportage sur la tombe d’Antonio Machado (réécoutable ici). J’y ai découvert non seulement que le poète espagnol était mort en exil à la fin de la Guerre d’Espagne, enterré à Collioure, mais encore que sa tombe était munie d’une boîte aux lettres, afin de recueillir les nombreux courriers qui étaient déposés sur la sépulture (voir ici ou ).

De manière très émouvante, le reportage faisait entendre des espagnols, vieux ou jeunes, venant réciter des vers de Machado sur sa tombe. L’émission dérivait ensuite sur l’exil des républicains espagnols dans les Pyrénées Orientales, témoignages à l’appui...

Cette émission a suscité chez moi un grand intérêt pour la Guerre d’Espagne, peut-être parce que «Pour qui sonne le glas» reste dans mes souvenirs comme un des livres les plus forts que j’aie lu.



Dans mes loisirs, mes amis me décrivent comme «méthodique», «organisé»; le mot «monomaniaque» est parfois prononcé... C’est vrai que j’aime bien me plonger dans les choses, et donc à ma visite suivante à la Fnac, après avoir pris deux ou trois livres d’histoire sur l’Espagne et sa guerre civile, un CD «Chansons de la guerre d’Espagne»



j’allais devant le pas si maigre rayon «littérature hispanique» pour y prendre «un roman espagnol». En fait je trouvais exactement ce qu’il me fallait, un roman sur le thème de la guerre civile, fantastique photo de Robert Capa en couverture : Les soldats de Salamine, de Javier Cercas :


La citation en exergue du livre est d’Hésiode : «Les dieux ont caché ce qui fait vivre les hommes»; tiens revoilà des dieux qui cachent ou se cachent...
Tout le roman tourne autour d’une anecdote, en fait (partiellement) véridique : dans les derniers jours de la guerre d’Espagne, un éminent phalangiste, l’écrivain Rafael Sànchez Mazas est prisonnier des républicains dans le réduit catalan. Il est à un moment amené pour être fusillé en compagnie de 49 autres nationalistes, s’enfuit au moment des premiers coups de feu, échappe miraculeusement aux balles qui sifflent autour de lui en s’enfonçant dans les bois alentours. Quelques instants plus tard, terré dans un fossé, il est découvert par l’un des républicains partis le rechercher;
«c’est alors que quelqu’un a crié : «Il est par là ?» (...) le milicien est resté à le regarder quelques secondes et ensuite, sans le quitter des yeux, a crié «Par ici, il n’y a personne», puis a fait demi-tour et est parti.»
J’ai eu personnellement un peu de mal à rentrer dans le roman, en partie à cause du style narratif de l’auteur qui écrit comme s’il voulait n’oublier aucun détail (en fait ce mail se veut autant que possible un pastiche de ce style...) mais il m’a de plus en plus passionné au fur et à mesure de sa progression et j’en suis sorti assez enthousiasmé. Roman sur l’absurde, la destinée, le, euh, hasard, et beaucoup d’autres choses encore, mais aussi et surtout roman de l’Espagne réconciliée soixante après ? C’est du moins ainsi que je l’ai compris «Oui le pardon peut exister. Et ceci vaut pour tous les conflits, même les plus fratricides.»

En fait j’ai appris par la suite que ce roman avait été couvert de prix littéraires en Espagne, et y avait donné lieu à moult discussions voire polémiques (*)

Les cols ??? me diront ceux qui ont lu jusqu’ici. Non, non, je ne me suis pas trompé de liste de diffusion...

A l’occasion de ces dernières vacances pascales, l’hésitation entre la Ligurie et la Catalogne comme destination fut de relativement courte durée.

Après un petit séjour à Collioure (un écolier avait placé sur la tombe de Machado cet extraordinaire poème que j’avais moi-même mis en exergue de mon Santiago '96), et profitant de la liberté que laisse le camping-car, je choisis comme point de chute en Espagne de me poser à l’extrême limite sud de la seule carte détaillée que j’avais sur la région, la carte au 1/50000° n°2 de l’Institut Cartografic de Catalunya «Alt Emporda», ceci de manière à être certain de trouver des cols (nous y voilà), effectivement nombreux sur ces cartes de l’ICC.



Banyoles faisant la bordure de la carte, c’est donc à Banyoles que nous terminons nos vacances.



En ce 14 avril, ayant la chance de bénéficier du brouillon du Catalogue des Cols de Catalogne d’Alain Gillodes (**), je prépare mon itinéraire du lendemain.
A l’est de Banyoles, la route passe un premier petit col (Collada de l' Arn), puis un second (Collet de la Casica) ; au nord encore un petit col, Santa Maria del Collell, celui-là on va le négliger pour s’économiser et aller passer à l’est le Collet de Colitzà, basculer vers Santa Pau, puis de là essayer de gratter un maximum de la demi-douzaine de cols entourant Santa Pau.
Mais, Santa Maria del Collell ????

Le lendemain, la Collada de l’Arn est franchie comme échauffement et j’arrive à l’embranchement menant à Santa Maria del Collell qui n’est donc pas au programme.
Mais, Santa Maria del Collell ????
Le « Collell », ce n’est pas le nom de l’endroit où Rafael Sànchez Mazas a été fusillé ?? Je n’arrive pas à me souvenir, je n’ai pourtant fini le livre que quelques jours auparavant…
Dans le doute, je change mes plans et bifurque vers Santa Maria del Collell.
Le col est vite atteint, au sommet, une croix ; sur chaque face de son socle cubique, une inscription :
- construida 1718
- destruida 1936
- reconstruida 1942







Effectivement le message est clair…
Le sanctuaire de Santa Maria del Collel est juste en dessous, 200m en contrebas. Il s’agit d’un grand ensemble architectural sans grande particularité (en rénovation d’ailleurs), l’église est massive et sans charme, sous un arbre une plaque… « En las instalaciones del seminario – colegio, hubo presos destacados personajes que no compartian ideas republicanas. Entre ellos se encontraba Rafael Sànchez Mazas, un conocido falangista que, cuando iba a ser fusilado junto con otras 49 otras personas, consiguio huir entre los bosques de encinas que rodeaban el Collell. »



Ainsi donc mon lieu de villégiature, choisi au hasard, est à 10 km du lieu central du roman « les soldats de Salamine » ;
Ainsi donc me voici en ce lieu central, alors que j’aurais pu et dû l’éviter;
Ainsi donc c’est un col

J’aime bien quand les boucles se ferment.

Il n’y a pas de hasard ?

Quelques photos du Collell :

Santa Maria del Collell

Santa Maria del Collell

Santa Maria del Collell vue du Collet de Colitza


(*) Le libraire de Banyoles : «No le he leido.» Moi : «Y porque ?» le libraire : «conozco el autor, es un imbecil.» Fin de la discussion, mon espagnol me permettant de commander une cerveza por favor mais guère plus.
 (**) devenu depuis Catalogue des Cols d’Espagne, en vente au Club des Cent Cols


Les articles du Monde Diplomatique sur « les soldats de Salamine » sont pas mal, ici et .


Circuit fait ce jour-là.

Texte publié sur la liste de diffusion du Club des Cent Cols le 12/05/2004
Republié dans "Transibérica" car notre J04 fait le 05/05/2014 se déroule entre Banyoles et Olot, et la Línea passe à 3 km d'el Collell.


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